Les minima salariaux, problème prioritaire ?

07/11/2022 Réglementation
Réglementation  Les minima salariaux, problème prioritaire ?

À lire la presse grand public de ces dernières semaines, on pourrait le croire. Si la faiblesse des salaires est une réalité depuis des décennies, le cœur du problème est plus profond. Les faibles minima en coiffure n’ont pas grand-chose à voir avec la crise des vocations, les prix sont au cœur du problème.

La grille des salaires est-il LE problème de la coiffure ? Devant les articles polémiques et les communiqués vengeurs de FO (revenue depuis à la table des négociations après avoir bruyamment claqué la porte) pendant des semaines, on pourrait le croire, mais avant d’exposer la polémique et ses (réels !) problèmes, allons tout de suite à la conclusion : non, les minima en coiffure n’ont pas grand-chose à voir avec la crise des vocations actuelle, c’est plus le chiffre d’affaires des salons le problème, lequel nous entraîne dans un cercle vicieux de la précarisation de tous les acteurs de la profession ! Sans oublier les contraintes inhérentes à un métier de services, moins acceptées après la crise du Covid-19.


Salaires bas mais pression forte
Les négociations sur les minima patinent depuis quelques années, entre des syndicats patronaux ayant un peu lâché l’affaire face à d’autres priorités et des syndicats de salariés peu représentatifs mais présents par obligation légale dans le système paritaire. Ces négociations sont presque hors-sol face à la réalité du terrain. Le marché de l’emploi actuel rend les minima presque accessoires à l’heure où ce sont les salariés qui ont l’initiative et qui mènent les négociations, en direct et en force, du fait de la pénurie de main d’œuvre. Nombre de coiffeurs bougent pour demander des salaires bien supérieurs au minimum légal qui est, rappelons-le à certains patrons, le Smic (1 600 euros brut, soit 1 270 euros net environ pour 35 heures) et pas le minimum de la grille ! Au cœur des demandes et des offres d’emplois, L’Éclaireur le voit depuis des années – et plus encore depuis le Covid-19 –, nombre d’employés, même avec peu d’expérience, ont des demandes sans rapport avec la grille (autour de 1 400 euros net), tout en exigeant des horaires moins contraignants.


Mieux valoriser l'expérience et la performance
Et l’expérience aidant, les demandes à 1 600 euros net et plus ne sont plus rares. Mais attention, c’est un quitte ou double, certains salons à la rentabilité déjà écornée préfèrent parfois ne plus recruter que le faire à ces tarifs car pour être rentable, un salarié doit générer autour de deux fois et demie son salaire, idéalement plus de trois fois (tous les calculs sont à réaliser en brut). La part variable des salaires introduite par l’article 13 et destinée à motiver les coiffeurs a de son côté loupé ses objectifs. Ce vieux débat ouvert par notre journal en… 2011 (!) obtient un certain consensus, les niveaux de déclenchement de cet intéressement sont souvent inappropriés, les coiffeurs préférant un fixe plus élevé, et salariés comme patrons ont parfois du mal à évaluer le chiffre d’affaires réalisé par chacun ! D’ailleurs, beaucoup de salons haut de gamme, où les salaires sont plus proches de 2 000 euros, connaissent aussi des problèmes de recrutement.


Rémunérer l'effort
Le vrai souci avec la grille des salaires actuelle est qu’elle est malgré tout un peu décourageante. Quand cinq indices sont en dessous du Smic, cela donne l’impression que quels que soient les efforts et l’expérience, on va toucher le même salaire pendant 10 ans. Certains patrons sont même tentés de suivre strictement des règles minimales, n’encourageant pas pécuniairement l’engagement, le travail et les heures supplémentaires. Un phénomène accentué par le fait que nombre de patrons ont parfois aussi du mal à dégager plus d’un Smic en revenu disponible après charges. Alors le blocage des négociations, la faute à qui ? C’est collectif. Les syndicats ? Oui ! Mais des deux côtés. Et surtout, pas seulement : si le chiffre d’affaires de la profession stagne autour de 6 milliards d’euros, l’augmentation anarchique du nombre d’entreprises de coiffure depuis 10 ans et la stagnation des prix impliquent un revenu disponible par entreprise de coiffure en baisse.

Augmenter les prix
La solution ? Diablement simple mais stressante, surtout avec le redémarrage de l’inflation : augmenter les prix régulièrement et, surtout, dès maintenant ! Le vrai débat est là, même si personne ne prétend qu’il est facile…


Vos réactions face à la polémique sur les salaires
Denis Holbecq : La première des choses à mettre en place pour pouvoir mieux rémunérer les collaborateurs est de positionner correctement les prestations. Beaucoup de métiers de l'artisanat facturent 120 € HT l'heure juste pour la main d'œuvre plus le matériel. Alors que le coiffeur est à 60 € TTC de l'heure, produits compris. Tout part de là.


Laetitia Gayral : Augmenter les tarifs, oui. Tous les autres artisans le font bien. La coiffure et l'esthétique sont les seuls métiers de l'artisanat où il y a un problème de revalorisation.


Maurice Coiffure : Diminuer la TVA pour de meilleures marges ! Le luxe devrait avoir une TVA à 33,33 % comme il y a quelques années. La coiffure n’est pas du luxe, mais un besoin qui nous fait un bien fou...TVA à 5,5 % pour nous !


Frédérique : La profession est tirée vers le bas depuis 1982 et la liberté des tarifs. Sont apparus des discounters [...] La réponse de beaucoup de salons a été la baisse des prix. En 1980, mon maître d’apprentissage facturait 230 francs le shampooing/coupe/brushing... Quarante ans après, je facture 29 euros... Soit moins cher sans tenir compte de l’inflation ! Ce devrait être 80 euros. Aucune profession n’a connu ça. Puis sont arrivés les autoentrepreneurs avec moins de charges […] Comment voulez-vous augmenter les tarifs afin de mieux payer vos salariés ? Nous sommes dans une impasse, que seul l’État peut résoudre en allégeant nos charges, soit sur les salariés, soit sur la TVA. Afin que nous puissions augmenter les salaires.


Marine Bodin : En effet, réel problème et ce, depuis des années... Les salons craignent d'augmenter leurs prix et les clients ne sont pas tous prêts à mettre la main au porte-monnaie. Triste réalité !


Franck Lescalmel : Nos salaires sont bien trop bas. Effectivement, les chaînes et la concurrence ont tiré les prix vers le bas et donc nos salaires, nous sommes dans un système bien trop pyramidal, la base travaille, la pointe s’enrichit.



Christophe Doré, président de l’Unec
« Il est indéniable que quatre indices sont sous le Smic, mais rappelons déjà l’essentiel : le Smic doit être appliqué dans ce cas et rien n’interdit de payer plus. Mais ce doit être le choix du chef d’entreprise, dans le cadre de négociations avec ses futurs employés. Défiscaliser les heures supplémentaires avait été une bonne mesure, tout le monde y gagnait. Augmenter les salaires de base est évidemment nécessaire avec le retour de l’inflation, mais pas juste comme ça. Et il faut jouer sur l’intéressement ou la revente produit par exemple. L’activité des salons est encore inférieure de 15 % par rapport à l’avant-crise. Le télétravail et le changement des habitudes nous ont fragilisés. Les chefs d’entreprise eux-mêmes ont perdu, un sur deux gagne moins et certains ne se dégagent même plus un Smic. On nous parle de l’exemple de l’hôtellerie ? Bien ! Alors donnez-nous leur TVA ! Et continuons les efforts de baisse de charges sur les bas salaires. Mais surtout, arrêtons d’instrumentaliser la coiffure pour faire de la com et de la politique sur notre dos, soyons constructifs… »

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